28/01/2019 – 20h00 Montpellier (Lengadoc Info) – Emmanuelle Gave, présidente de l’Institut des Libertés et candidate Debout La France aux élections européennes, revient pour Lengadoc Info sur le mouvement des Gilets Jaunes qui secoue la France depuis plus de deux mois.
Lengadoc Info : Depuis deux mois, la France connaît un mouvement social sans précédent, celui des Gilets Jaunes. Peut-on dire aujourd’hui que l’on est entré dans une logique d’affrontement ?
Emmanuelle Gave : Oui, il est très clair qu’il y a une opposition entre les deux camps que l’on peut tout à fait qualifier d’affrontement. Surtout dans la mesure où quand vous demandez à des spécialistes, c’est la première fois que dans les manifestations des ordres sont donnés d’aller au contact. Jusqu’à maintenant, la police ou la gendarmerie avait comme ordre de ne jamais entrer en contact avec les manifestants, en général on maintient à distance avec du gaz lacrymogène. Mais là, il y a une volonté, en tout cas c’est la première fois depuis extrêmement longtemps et en général la police française ne fait pas ça, que la manifestation soit gérée avec un contact physique. Et ça on peut se demander d’abord, pourquoi ? Pourquoi le pouvoir politique a donné cet ordre ? Mais également il est logique d’en déduire qu’il se passe un affrontement parce qu’en général plus vous tapez sur quelqu’un, plus il s’émeut.
Lengadoc Info : Est-ce que, selon vous, il y a des abus de la police sur la question de la violence ?
Emmanuelle Gave : Sur la question de la violence, je pense qu’en amont de ça, on a pu voir avec cette histoire sur le pont avec le boxer Dettinger où il y avait, je crois, cinq gendarmes qui étaient tout seuls, on peut se demander qui a donné cet ordre. Normalement on ne doit jamais avoir d’officiers isolés devant une foule. On peut se demander pourquoi cela se passe comme ça et qui donne ces ordres.
J’ai été également choquée par l’utilisation des flashball et surtout tout ces tirs au visage qu’on a vu. Ils ont des viseurs, il est quand même plus facile de viser le torse plutôt que la tête. Il y a une dérive chez certains policiers et on pourrait peut être se poser des questions sur les critères de recrutement dans la police quant on voit cela.
Lengadoc Info : Vous parlez de dérive, est ce qu’on n’assiste pas également à une dérive au niveau institionnel avec la loi anti-casseurs ?
Emmanuelle Gave : J’ai lu le projet de loi en entier et je l’ai bien analysé. C’est vrai que cette loi si on la regarde sous l’angle des manifestations Black Bloc, elle passe comme une lettre à la poste parce qu’on se dit « il y a des manifestations spontanées et qu’il y a des dégradations des biens » . En revanche, il est vrai que si on analyse cette loi dans le contexte des Gilets Jaunes on se dit qu’elle est proprement liberticide. Cette loi permet quelque chose qui est assez grave, c’est la responsabilité collective. Si demain je me promène avec ma fille sur les Champs Elysées et que je me retrouve dans une manif, je peux vraiment être tenue comme responsable collectivement d’une dégradation qui pourrait avoir lieu.
Ensuite, l’autre chose qui serait extrêmement grave, ça serait la création d’un fichier de manifestants. Qui va créer ce fichier, qui va le gérer ? Est-ce que ça va être un fichier qui va être géré par le pouvoir judiciaire ? Par des autorités administratives ? Et sur la base de quoi ? Une condamnation ? Ou juste sur la croyance que tel individu est un manifestant dangereux ? Je trouve cela grave sur le plan constitutionnel.
Lengadoc Info : Le mouvement des Gilets Jaunes soulève une autre question, celle de savoir comment le peuple peut s’exprimer aujourd’hui ? Doit-on le cantonner au bulletin de vote ou existe-t’il une autre façon ?
Emmanuelle Gave : Je pense que vous faites allusion au référendum d’initiative citoyenne que je trouve être une excellente idée. Je pense que le peuple a le droit de s’exprimer et qu’il devrait le faire le plus souvent possible et sur tous les sujets comme c’est le cas en Suisse.
Le problème c’est que historiquement, si l’on regarde en arrière, à chaque fois que l’on a posé des questions aux français, « voulez-vous, oui ou non, le traité de Lisbonne ? Le traité de Maastrich ? » A chaque fois les politiques se sont assis dessus. A chaque fois aussi que l’on essaie de voter, regardez les élections présidentielles avec monsieur Fillon, il y a des manipulations politiques et judiciaires pour essayer de nous faire arriver à un certain vote. Il est évident que quand le peuple vote et que son vote n’est pas suivi d’effet, au bout d’un moment il se dit « il va falloir que je trouve un autre moyen de m’exprimer ». D’où le désaveu des urnes et les records d’abstention. Et finalement, ce mouvement de manifestations spontanées que sont les Gilets Jaunes réinvestit les gens dans la vie de la cité et ils se disent que « puisqu’on y est on va aussi demander telle ou telle chose ». Mais il est certain que l’on ne pourra pas, à terme, continuer. Je ne pense pas que la liste Gilets Jaunes qui vient de se constituer soit une expression véritablement du mouvement, elle a été récupérée, avec Bernard Tapie on voit bien qu’elle a été montée pour aider Macron.
Je crois qu’il va falloir trouver, justement, peut-être par le référendum d’initiative citoyenne, une façon de transformer l’essai.
Propos recueillis par Jordi Vives
Photos : Lengadoc Info
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