20/12/2018 – 14h30 Syrie (Lengadoc Info) – point 66 – « Après des victoires historiques contre ISIS, il est temps de ramener nos petits jeunes à la maison ! » C’est par une courte vidéo diffusée sur Tweeter que le président américain a fait cette annonce qui fait l’effet d’une bombe sur le plan géopolitique et diplomatique.
After historic victories against ISIS, it’s time to bring our great young people home! pic.twitter.com/xoNjFzQFTp
— Donald J. Trump (@realDonaldTrump) 19 décembre 2018
Donald Trump annonce le retrait des troupes US de Syrie
C’était, on s’en souvient, un des arguments de Donald Trump lors de sa campagne électorale. Le retrait des troupes américaines déployées à travers le monde et l’emploi des budgets colossaux à l’intérieur du pays plutôt que sur des théâtres d’opérations extérieurs. Cette volonté était d’ailleurs un changement radical dans la politique extérieure des Etats Unis dont l’impérialisme n’a jamais eu besoin d’être démontré. Même le président Obama n’avait pas réussi à influer sur cet aspect du fonctionnement des Etats Unis. Il semblerait que l’annonce du retrait des 2000 soldats américains présents sur le sol syrien ait été décidé par le président américain sans consulter l’état-major américain. Une décision qui n’est pas sans créer de vives résistances et d’aussi vives réactions au sein de la vie politique américaine.
Le retrait des troupes américaines de Syrie sera pleinement effectif sous 2 à 3 mois et apportera son lot de changements à une situation militaire qui s’était relativement apaisée depuis 6 mois.
Etat des lieux sur le terrain
La situation militaire en Syrie depuis notre dernier point n’a connu que quelques modifications et événements que l’on peut considérer comme mineurs mais dont certains ont malgré tout une importance et une résonance particulières.
– Il persistait une zone de résistance de l’Etat Islamique au nord-est de Sweida où les combattants s’accrochaient au relief torturé de la zone volcanique d’As Safa. De longs et meurtriers combats ont eu définitivement raison de cette présence terroriste le 17 novembre 2018. Les combattants jihadistes avaient perpétré un massacre de 300 civils druzes le 25 juillet 2018 et avaient capturé une trentaine d’otages dont ils se servaient comme bouclier humain. Ces otages ont servi de monnaie d’échange, les derniers ont été libérés en novembre 2018.
– Une très grave crise est intervenue entre la Russie et Israël le 18 septembre 2018 lorsqu’un raid aérien israélien contre des cibles syriennes dans la région de Lattaquié a entrainé la destruction d’un avion de reconnaissance russe Il-20 et des 15 membres de son équipage. Même s’il s’avère que c’est le dispositif de défense anti-aérien syrien qui a causé la destruction de l’avion, les autorités russes en attribuent l’entière responsabilité à Israël. Cette crise aura pour conséquence majeure la livraison par la Russie à la Syrie de systèmes de défense anti-aériens S 400 perturbant grandement le potentiel offensif de l’armée de l’air israélienne.
– Une campagne a été menée depuis le 1er mai 2018 contre la dernière poche aux mains de l’Etat Islamique le long de l’Euphrate à proximité de la frontière avec l’Irak. Cette offensive, appelée « Opération Roundup », située sur la rive Est est menée par les Forces Démocratiques Syriennes à majorité kurde et avec le soutien de la coalition internationale. La 3ème phase de l’opération Roundup a débuté le 10 septembre 2018 avec des gains importants pour les FDS qui entrent dans Hajin au nord et s’emparent des villes de Baghuz Tahtani et de Baghuz Fawqani au sud.
L’Etat Islamique profite de plusieurs tempêtes de sable qui empêchent tout appui aérien de la coalition pour mettre en déroute les FDS et reprendre toutes ses positions à la fin du mois d’octobre. Le 4 décembre 2018 les FDS arrivent à pénétrer dans Hajin au nord et à capturer entièrement la ville le 14 décembre 2018. Les 2000 combattants estimés de l’Etat Islamique mènent une défense acharnée face aux 17000 combattants des FDS et l’appui aérien de la coalition. Ces quelques villes sont leur dernier carré et un anéantissement prochain était jusqu’à présent quasi certain. Les dernières déclarations de Donald Trump risquent cependant d’offrir un sursis à ce réduit jihadiste.
Perspectives à court terme
Le conflit qui déchire la Syrie depuis 2011 se trouve à la veille de grandes incertitudes alors que la Russie et les Etats Unis annoncent officiellement que l’Etat Islamique est vaincu.
Le retrait américain tout d’abord, va changer la carte, puisque la poche d’Al-Tanf qui contrôle le poste frontière entre la Syrie et la Jordanie au sud-est devrait disparaître et passer aux mains des forces loyales au gouvernement de Bachar el-Assad.
Mais c’est aux turcs que ce retrait américain va bénéficier dans un premier temps. La décision de Donald Trump est perçue comme un coup de couteau dans le dos par les forces kurdes des FDS. Les victoires militaires kurdes contre l’Etat Islamique n’ont été rendues possibles uniquement parce que les Etats Unis se sont occupés de la formation, du financement ainsi que de toute la logistique. Ce soutien américain était le seul rempart pour les kurdes contre l’appétit du président Erdogan. Cette situation est parfaitement illustrée par la conquête début 2018 par l’armée turque et ses affiliés syriens de l’Armée Syrienne Libre de la poche d’Afrin au nord-ouest du pays. Les kurdes de cette province ont été lâchés par les américains alors que la poche de Manbij où ils sont présents est encore préservée.
Le président Erdogan a annoncé depuis plusieurs semaines qu’il comptait étendre sa « lutte contre le terrorisme » à l’est de l’Euphrate sur 500 kilomètres de long et 40 kilomètres de profondeur. Le terrorisme auquel il est fait allusion désigne les combattants kurdes en Syrie affiliés selon Erdogan au PKK le Parti des Travailleurs du Kurdistan, organisation armée d’inspiration marxiste considérée comme terroriste par de nombreux pays occidentaux.
Un nouveau front qui peut s’ouvrir à tout moment donc au nord de la Syrie puisque l’armée turque a massé troupes et blindés le long de sa frontière sud. Dans un premier temps, ce conflit entraînerait le rapatriement des FDS en direction du Nord et l’abandon de territoires durement conquis. Une bouffée d’oxygène momentanée pour l’Etat Islamique dans son dernier carré.
Répit de courte durée si l’on prend en compte le fait que ce repli bénéficiera essentiellement au gouvernement de Bachar el-Assad qui se présentera comme défenseur des populations et se hâtera de récupérer ces portions de territoire où sont situées les plus importantes sources de pétrole du pays. C’est d’ailleurs le seul adversaire/partenaire crédible qui peut faire face ou composer avec la Turquie. Il est d’ailleurs intéressant de noter la visite inhabituelle du président iranien Hassan Rouhani à Ankara à son homologue turc aujourd’hui au sujet du dossier syrien.
En définitive le retrait des troupes américaines signe purement et simplement la fin du rêve kurde de la Rojava, cette entité ethnique kurde autonome en Syrie.
Martial Roudier
Photos : DR
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