10/06/2016 – 18h10 Syrie (Lengadoc Info) – Point de situation numéro 8 – La situation en Syrie évolue à grands pas depuis l’offensive généralisée menée par la coalition occidentale. Chaque jour modifie la carte des opérations et rend compte des difficultés tactiques auxquelles doivent faire face l’ensemble des belligérants. Une constante apparait cependant: face à la multiplicité des fronts, les forces combattantes sont obligées de faire des choix dans leurs priorités et délaisser des objectifs pour en sauver d’autres…
Vers la disparition de l’Etat Islamique dans le Nord de la Syrie ?
Nous avions annoncé que l’Etat Islamique se trouvait en position de force et de conquête au nord d’Alep face aux « forces rebelles » représentées par les combattants de l’Armée Syrienne Libre (FSA). La situation de la ville de Marea, complètement encerclée apparaissait catastrophique. Il semble désormais que les combattants islamistes de Daech effectuent un retrait tactique précipité dicté par un impératif de taille. En effet, la situation dans le bastion islamique de Manbij est très alarmant et sa chute pourrait bel et bien signifier la disparition de l’Etat Islamique dans le nord de la Syrie.
Nous assistons dans cette partie du territoire à une offensive venant de l’Est par les troupes kurdes des Forces Démocratiques Syriennes (FDS) autour de la ville de Manbij. Ces combattants sont assistés par des Forces Spéciales américaines mais également selon l’aveu du ministre français de la Défense Jean-Yves Le Drian, de Forces Spéciales françaises au nombre de 150. Ces éléments ne se trouveraient pourtant pas au contact direct des combattants islamistes. La ville de Manbij est le passage clef de l’approvisionnement logistique de l’Etat Islamique depuis la Turquie que ce soit en matériel ou en hommes. On connait la porosité de la frontière turco-syrienne en cette matière et le jeu plus qu’ambigu de la Turquie dans ce dossier…
Toujours est il que la route entre Manbij et la ville frontalière de Jarabulus vient d’être coupée par les combattants kurdes ainsi que par le bombardement américain d’un pont routier, essentiel pour l’acheminement au nord de la ville d’Awn Al-Dadat. C’est donc l’acheminement logistique de tout l’Etat Islamique qui vient d’être perturbé.
Actuellement la ville de Manbij est menacée d’encerclement puisque les forces kurdes sont présentes au nord, à l’est ainsi qu’au sud. Elles se trouveraient même à l’ouest à plusieurs kilomètres sur les arrières du bastion islamique de Manbij. On comprend mieux ainsi le redéploiement des combattants islamistes qui intervient tout de même un peu tard… La facilité avec laquelle les FDS ont pu pénétrer en territoire islamique après le franchissement de l’Euphrate est assez déconcertante. Pour exemple, le pont en partie détruit de Qara Qawzaq était lourdement piégé mais il n’y avait personne pour faire sauter les charges. Ce dernier vient tout juste d’être réparé et va ainsi permettre un acheminement logistique accru pour les troupes kurdes.
Du côté des forces loyalistes
La ville de Raqqah, considérée comme étant la capitale de l’Etat Islamique en Syrie, est par définition l’enjeu majeur pour toutes les composantes armées présentes en Syrie. Nous assistons donc à une course pour libérer la ville entre, schématiquement, les forces soutenues par les occidentaux et celles soutenues par la Russie. Les troupes loyales au président Bachar El-Assad ont entamé un redéploiement en direction de Raqqa par le sud, alors que l’offensive kurde aborde la ville par le nord. Ce redéploiement n’est pas passé inaperçu et nous assistons depuis une semaine à une offensive importante dans la région située au sud ouest d’Alep contre les troupes loyalistes. Cette offensive a été très meurtrière et semble avoir pris au dépourvu les défenseurs loyalistes. L’effet de surprise semble désormais passé, la défense tend à se réorganiser et des contre offensives voient le jour. La situation est périlleuse pour le camp « pro-Bachar » car la ville d’Alep pourrait facilement être coupée en deux. Si l’on regarde une carte des troupes au sol, il se dessine deux zones imbriquées l’une dans l’autre quasiment symétriquement et en forme de spirale. L’objectif de part et d’autre est donc diamétralement le même, à savoir, couper le front à l’endroit le plus étroit de façon à créer une poche et la réduire petit à petit. Il s’agit donc d’un des points chauds du territoire.
Un élément important est à souligner. L’assaut mené contre les troupes loyalistes en direction d’Alep l’a été par une agrégation de factions combattantes considérées comme « islamistes modérées » c’est-à-dire ayant comme objectif d’instaurer la charia. Elles ont simplement choisi Al-Qaida plutôt que l’Etat Islamique et se retrouvent sous la bannière du fameux Front Al-Nosra. Ces combattants islamistes ont également profité de l’engagement pris par la Russie de ne plus bombarder les opposants rebelles « normaux » (FSA). En effet, il existe un flou dans cette partie du pays puisque tous ces groupes coexistent, voire collaborent. Le ministre des affaires étrangères russe Sergueï Lavrov a d’ailleurs laissé présager récemment une reprise des bombardements en arguant du fait que les forces rebelles avaient eu assez de temps pour se séparer des islamistes d’Al-Qaida… Nous devrions donc assister prochainement, même si elle n’en était jamais vraiment partie, à un retour en force de la Russie en Syrie.
Martial Roudier
Photos : DR
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