26/03/2020 – 15h40 Montpellier (Lengadoc Info) – Durant cette deuxième semaine de confinement, Lengadoc Info vous propose de découvrir chaque jour deux ouvrages à lire… ou à relire !
Jean-Christophe, de Romain Rolland
Voilà bien une lecture d’autrefois puisque plus personne ne se risquerait aujourd’hui à écrire ce genre de roman-fleuve, roman d’une vie entière. Et c’est là que l’on comprend ce qu’est un roman-fleuve, qui vous emporte comme une vague et vous soutient comme une mer bien salée, vous submergeant parfois dans un sentiment d’intimité très fort crée par une longue fréquentation : 1500 pages, dix années d’écriture ! Et l’envie délicieuse de rentrer chez soi (ou d’y rester) pour retrouver Christophe et les autres, qui finissent par faire partie de notre famille. Une excellente occasion d’avoir un nouvel ami, comme une rupture de clôture ! L’œuvre retrace la vie de Jean-Christophe Krafft, un musicien allemand de génie, du jour de sa naissance à celui de sa mort. Le héros qui incarne l’espoir d’une humanité réconciliée, notamment en montrant la complémentarité de la France et de l’Allemagne, est aussi un héros romantique comme le Werther de Goethe et l’image de Beethoven y apparaît en filigrane.
La vie du héros se transforme ainsi en quête d’une sagesse : il doit passer par une série d’épreuves, les « cercles de l’Enfer », maîtriser ses passions, avant de dominer sa vie et d’atteindre l’Harmonie, qui est coïncidence avec le rythme de la Vie universelle.
Tout y est décrit dans une langue impeccable qui vous contaminera de belle manière à la formation de parfaits imparfaits du subjonctifs. Toute la vie y est saisie avec une remarquable finesse d’analyse psychologique, et par tous ses côtés : naturellement la musique et le génie des peuple, mais aussi la nature, l’amour, l’épreuve, la volonté, l’amitié.
Tourner la dernière page sera comme quitter un compagnon.
Le chariot d’Or, le jardin de l’Infante… de Albert Samain
Forêts d’amour, Forêts de tristesse et de deuil,
Comme vous endormez nos secrètes blessures,
Comme vous éventez de vos lentes ramures
Nos coeurs toujours brûlants de souffrance ou d’orgueil.
Tous ceux qu’un signe au front marque pour être rois,
Pâles s’en vont errer sous vos sombres portiques,
Et, frissonnant au bruit des rameaux prophétiques,
Écoutent dans la nuit parler de grandes voix.
Tous ceux que visita la Douleur solennelle,
Et que n’émeuvent plus les soirs ni les matins,
Rêvent de s’enfoncer au coeur des vieux sapins,
Et de coucher leur vie à leur ombre éternelle.
Salut à vous, grands bois à la cime sonore,
Vous où, la nuit, s’atteste une divinité,
Vous qu’un frisson parcourt sous le ciel argenté,
En entendant hennir les chevaux de l’Aurore.
Salut à vous, grands bois profonds et gémissants,
Fils très bons et très doux et très beaux de la Terre,
Vous par qui le vieux coeur humain se régénère,
Ivre de croire encore à ses instincts puissants :
Hêtres, charmes, bouleaux, vieux troncs couverts d’écailles,
Piliers géants tordant des hydres à vos pieds,
Vous qui tentez la foudre avec vos fronts altiers,
Chênes de cinq cents ans tout labourés d’entailles,
Vivez toujours puissants et toujours rajeunis ;
Déployez vos rameaux, accroissez votre écorce
Et versez-nous la paix, la sagesse et la force,
Grands ancêtres par qui les hommes sont bénis.
Extrait de Forêts, dans Symphonie héroïque – Le chariot d’Or
Albert Samain, poète symboliste de la fin du XIXè siècle, connaît le succès de son vivant mais se trouve aujourd’hui recouvert de la poussière de l’oubli, en dépit de quelques rues qui portent encore son nom. Pendant sa courte vie (1852-1900), il collabore notamment au Mercure de France et à la Revue des deux Mondes. L’édition augmentée du Jardin de l’infante qui parait en 1897 obtient un énorme succès. Le volume sera réimprimée des dizaines de milliers d’exemplaires sans discontinuer jusque dans les années 1930.
Parmi ceux qui lisent encore, qui lit encore de la poésie, cette consolation de l’âme ? Et parmi ceux qui se plongent dans les vers, qui connaît encore ceux, pourtant subtils et enivrants d’Albert Samain ? La perfection de la forme, alliée à une veine mélancolique et recueillie, caractérise son art d’une extrême sensibilité. Lire Samain, presque le psalmodier, soigne les blessures.
Photos : DR
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