24/03/2020 – 07h00 Montpellier (Lengadoc Info) – Durant cette deuxième semaine de confinement, Lengadoc Info vous propose de découvrir chaque jour deux ouvrages à lire… ou à relire !
Au château d’Argol, de Julien Gracq
« Leur coeur bondissait dans leur poitrine et la limite même de leurs forces parut maintenant toute proche – ils surent qu’aucun d’eux n’ouvrirait la bouche et ne proposerait de revenir en arrière – leurs yeux étincelèrent d’une joie barbare. Au-delà de la vie et de la mort maintenant ils se regardèrent pour la première fois avec des lèvres scellées, ils sondèrent les ténèbres de leurs coeurs au travers de leurs yeux transparents avec de brisantes délices – leurs âmes se touchèrent en une caresse électrique. »
Au château d’Argol est le premier roman de Julien Gracq, le premier roman surréaliste tel qu’André Breton le rêvait. Les sens irrigués par les lieux et les espaces sont l’image la plus exacte des relations entre les êtres, Albert le maître d’Argol, Herminien son ami, son complice, son ange noir, et Heide, la femme, le corps. Tout autour, sombre, impénétrable, la forêt. Tout près, l’océan. Avec de multiples références au roman gothique le récit relativement court se concentre sur les rapports de trois personnages : Albert, Herminien et Heide. Albert ayant acheté le mystérieux château d’Argol, en Bretagne, il y reçoit la visite de son meilleur ami Herminien, qui arrive accompagné de la belle Heide. Entre ces trois personnages se tissent des rapports d’amour et de haine qui conduisent, sur fond de références à Parsifal, au viol, puis au suicide de Heide et à l’assassinat d’Herminien par Albert. Le roman est surtout remarquable par la violence des sentiments présentés (mais rarement explicités) et par les longues descriptions de paysages en harmonie avec les pensées des personnages (ainsi la longue scène du bain, où les trois personnages nagent vers le large au-delà de leurs forces comme s’ils voulaient mourir).
La langue de Julien Gracq, onirique, fantastique, toute en longueurs faites pour s’enrouler autour de notre âme et la bercer, est une langue qui console et hallucine, dans un décor de chemins, de falaises et de fuligineux châteaux de granit.
La Reine morte, d’Henry de Montherlant
Nonobstant qu’elle soit la première, il s’agit là à notre sens de la pièce de théâtre la plus jubilatoire et la plus aristocratique de l’oeuvre du « buste-à-pattes », courte et dense comme une gifle, méchamment réjouissante, condensé d’allure morale montherlantienne. Il faut en connaître bien des passages, et les réciter comme un
vulnéraire : « On tue, et le ciel s’éclaircit ! « En prison, en prison, en prison pour médiocrité ! « Votre bonheur ! Êtes-vous une femme ? », « la plupart des affections ne sont que des habitudes ou des devoirs qu’on a pas le courage de briser » « On dit toujours que c’est d’un ver que sort le papillon ; chez l’homme, c’est le papillon
qui devient un ver. »
La Reine morte consacre l’histoire tragique, dans le Portugal du XIVe siècle, d’Inès de Castro, du roi Ferrante qui doit marier son fils Pedro à l’Infante de Navarre, et l’Infante elle-même. Fatigué du pouvoir et de l’existence, le grand Roi sent s’avancer vers lui la mort. Il lui faut transmettre son pouvoir et marier son fils à l’Infante de Navarre, alliance dont l’avantage politique est tout assuré. Pourtant, Pedro aime une autre femme, Inès de Castro avec laquelle il s’est uni devant Dieu et qui attend un enfant.
Le combat entre le père et ce fils qu’il méprise – « Je vous reproche de ne pas respirer à la hauteur où je respire » – se réglera dans les larmes et le sang.
Il faut mentionner que cette pièce a été adaptée pour le cinéma en 2009 par Pierre Boutron, qui en a respecté le texte à la lettre, sans rien y ajouter que l’art magistral de ses acteurs, et notamment le flamboyant Michel Aumont dans le rôle de Ferrante. A lire d’urgence et à regarder !
Photos : DR
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