06/02/2019 – 08h00 Paris (Lengadoc Info) – Après l’incendie criminel qui a ravagé un immeuble à Paris et fait dix morts et plusieurs dizaines de blessés, la question de la gestion des personnes souffrant de troubles psychiatriques se pose. Présidente de l’Institut des Libertés, Emmanuelle Gave a bien voulue répondre à nos questions à ce propos.
Lengadoc Info : Un incendie criminel a eu lieu dans la nuit de lundi à mardi à Paris et a fait dix morts. On suspecte une femme de 40 ans connue des services psychiatriques. Comme cela est-il possible ?
Emmanuelle Gave : Le problème qu’on a aujourd’hui en France, c’est que les expertises psychiatriques obligatoires sur les auteurs de violences ne sont pas systématiques. Donc cette femme qui avait été internée précédemment en hôpital psychiatrique n’a probablement pas encore été considérée comme une délinquante potentielle. C’est un vrai problème dans notre code pénal : pour l’instant le législateur, surtout depuis les lois Taubira et Dati, n’a pas pris la pleine mesure de ce que l’absence d’internement psychiatrique pouvait laisser demeurer comme dangerosité sur le reste de la population. Nous n’avons pas, contrairement à la Suisse, assez de mise à l’écart et de prévention, de neutralisation d’un infracteur potentiellement violent.
Lengadoc
Info : Est-ce la justice qui n’est pas au point à ce niveau là,
est-ce qu’il faut modifier les lois ? Ou bien est-ce que ces
lois sont déjà existantes mais qu’elles ne sont finalement pas, ou
mal, appliquées ?
Emmanuelle Gave :
Aujourd’hui,
quand les psychiatres évaluent une personne, ils sont en contact
avec le juge des Libertés. Le juge des Libertés lui-même n’a pas
forcément accès à toutes les données médicales, et les
psychiatres eux-mêmes ne se prononcent que sur la la santé mentale
de la personne : ils ne se prononcent pas sur la question de la
liberté. Avec ce double système, ni l’un ni l’autre n’est vraiment
en mesure de dialoguer.
Le juge des Libertés est là pour que la liberté soit mise en valeur, afin que les personnes ne soient pas abusivement retenues. On se retrouve parfois à Paris avec des situations ubuesques, avec des personnes qui peuvent passer pratiquement 2 mois dans des hôpitaux psychiatriques parce que le juge des Libertés n’a pas pu les voir, parce que les délais sont très importants : il y a beaucoup de personnes à voir … Mais à côté de ça, les psychiatres ne disent pas forcément au juge des Libertés « oui cette personne là pourrait être un danger pour autrui », ils ne se prononcent pas sur la dangerosité ou sur la nécessité de la mise à l’écart, et ça, c’est un problème.
Dans
le code pénal suisse, il est prévu que le juge puisse intervenir si
la personne présente un danger, si elle est en mesure, comme dans
notre cas, de commettre un incendie, de commettre des crimes allant
au-delà de 5 ans de réclusion, même si ce n’est pas encore arrivé,
et ça, c’est une chose sur laquelle nous sommes très en retard en
France.
Lengadoc Info : Est-ce
qu’il n’y a pas aussi un problème d’infrastructures, est-ce que
beaucoup de personnes qui justement devraient être enfermées ne
sont pas laissées en liberté parce qu’il n’y a pas de place
finalement pour les accueillir ?
Emmanuelle
Gave : Effectivement,
c’est le cas, mais c’est aussi le cas dans bon nombre de prisons. Le
fait que dans notre état régalien nous n’ayons pas choisi de faire
les investissements nécessaires alors que la vie en société le
nécessite pose problème : une femme a mis en danger la vie de
centaines de personnes.
Dire
que « nous n’avons pas les moyens » n’est pas une
réponse ; en pratique, on pourrait se les donner. On a beau
dire ce qu’on veut, bien que l’État nous explique qu’il n’y a pas
d’argent, on trouve toujours les moyens de financer de très hauts
salaires ou des lignes TGV. La sécurité des personnes et le
« régalien » à proprement parler dans ce domaine,
c’est-à-dire les prisons et l’encadrement de la population, font
quand même partie, à mon sens, des choses primordiales de la vie en
société.
Photos : DR/Twitter
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