14/03/2017 – 19h00 Montpellier (Lengadoc Info) – Cela fait déjà 10 ans de retard pour la mise en place du système d’écoutes téléphoniques centralisé. Initialement prévu pour 2007, sa mise en place a été reportée plusieurs fois et devait être opérationnelle au 1er janvier 2017. Lengadoc Info est allé à la rencontre de professionnels pour tenter de comprendre un peu mieux la réalité de ces écoutes sur le terrain.
« Les interceptions judiciaires sont une véritable catastrophe«
Pour effectuer des interceptions téléphoniques, l’enquêteur passait jusqu’à présent par des prestataires de service privés comme Foretec ou Midi System. « On faisait une réquisition judiciaire, on louait l’appareil qui servait à intercepter, on faisait une réquisition SFR, Orange ou autre, c’était dévié sur cette console. Avec les années, après plusieurs générations de système, cette console était bien au point grâce aux mises à jour effectuées par les entreprises privées ».
Sauf que l’état a passé un contrat avec Thales et a mis en place un nouveau système qui s’appelle la Plateforme Nationale des Interceptions Judiciaires (PNIJ). Les gendarmes sont donc obligés de passer par cette plateforme et à partir du 1er janvier 2017, même la police aurait du être obligée de passer par ce système. Mais ce dernier n’est pas du tout au point.
Ce système avait initialement été testé dans des « unités pilotes » qui ont fait remonter tout de suite que c’était une catastrophe. Pour schématiser, pour une heure d’écoute il faut trois heures de traitement. En gros, le logiciel ne permet pas l’identification en temps réel des numéros, c’est à dire qu’on ne sait pas qui est l’interlocuteur de la personne écoutée. Pour identifier ce numéro appelant, il faut sortir du programme pour aller dans le répertoire de ce même logiciel, ce qui n’est pas logique du tout. Dans l’ancienne version il y avait les commentaires liés à la conversation directement accessibles au même endroit sur l’interface. En gros, un tableau avec le résumé de la conversation et son niveau d’importance. Désormais il faut ouvrir le fichier de la conversation pour en connaître la teneur. Il résulte ainsi dans la nouvelle version, une augmentation des actions qui entraine une perte de temps pour la personne chargée de l’écoute.
Autre inconvénient de ce nouveau programme: il est impossible de faire de renvoi en temps réel sur son propre téléphone. En filature par exemple, il était facile d’avoir la communication en direct de la personne suivie, ce qui facilitait grandement le travail des enquêteurs. Désormais, l’enquêteur doit impérativement accéder à l’écoute depuis son bureau sur son ordinateur. Un problème supplémentaire consiste dans le fait qu’il existe un décalage dans le temps entre la conversation effective et la réception de cette conversation par l’enquêteur qui peut aller jusqu’à vingt minutes. Ce décalage implique fatalement des ratés sur le terrain, lorsque les équipes d’intervention sont dépendantes de l’information interceptée. « Un jour, nous avons reçu l’information que notre cible s’apprêtait à partir à bord de son véhicule, en réalité il était déjà parti lors de notre mise en place ».
Pour les professionnels, le problème ne réside pas dans le fait que le logiciel ne fonctionne pas mais qu’aucune réponse ne soit apportée par les instances supérieures à cause de nécessités de marché avec Thales.
Ce logiciel unique va donc à terme, devenir la norme pour toutes les interceptions téléphoniques judiciaires. Malgré les réticences des enquêteurs mais également de magistrats qui autorisent encore l’utilisation de l' »ancienne méthode ». « La PNIJ coûte 24 euros par jour alors que dans le cadre d’une interception « à l’ancienne » le coût est dix fois ou trente fois ce prix là. En outre le coût ne pèse pas sur les mêmes budgets. La PNIJ revient au budget du ministère de l’Intérieur alors que les interceptions judiciaires incombent au ministère de la Justice« . On arrive donc à des économies substantielles en passant par la PNIJ mais pour une efficacité moindre.
« Le seul véritable avantage de la PNIJ c’est que dans le cadre des réquisitions judiciaires quand il fallait identifier un numéro, l’enquêteur obtenait la réponse entre un jour et trois semaines. Désormais la réponse est instantanée ».
On pourrait s’attendre à ce que le placement du pays en état d’urgence ait permis d’accélérer certaines procédures dans le cas d’individus particulièrement dangereux mais ce n’est pas le cas dans le cadre des écoutes.
Qu’est ce qu’une interception téléphonique ?
Pour bien comprendre le fonctionnement de ces interceptions judiciaires, il faut bien distinguer les deux cadres dans lequel elles sont employées.
1/ Les interceptions administratives
Elles sont gérées par le ministère de l’Intérieur. Elles sont effectuées par des fonctionnaires dans des bureaux et ne sont pas intégrées dans un cadre légal. En cas d’une « atteinte à la sureté de l’état », ces agents assermentés procèdent à l’écoute et envoient un rapport selon la teneur de l’écoute.
2/ Les interceptions judiciaires
Le fonctionnaire doit impérativement rendre des comptes et doit attester précisément de la teneur de l’écoute
Comment une interception judiciaire est elle lancée?
Il faut d’abord distinguer le cadre d’enquête dans lequel on se situe. Enquête de flagrance, enquête préliminaire ou commission rogatoire.
Pour l’enquête de flagrance, les faits sont très récents, l’enquêteur bénéficie de plus de prérogatives. L’enquête préliminaire concerne des faits qui ont plus de 48h. Ces deux cadres d’enquête incombent au procureur. L’enquêteur peut demander une interception judiciaire uniquement pour des actes graves, terrorisme, bande organisée, association de malfaiteurs. La durée maximale sera de quinze jours renouvelable une seule fois et devra être motivée par l’enquêteur auprès du procureur en apportant des éléments matériels qui justifient l’interception judiciaire (antécédents, témoignages…).
La commission rogatoire d’interception quant à elle, est chapeautée par un juge d’instruction. L’interception judiciaire peut être demandée dans n’importe quel cas, du moment que les faits concernés entraînent une peine de prison. L’écoute est alors effectuée sous la caution du juge d’instruction et l’enquêteur doit motiver son utilité et son éventuelle prolongation.
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